Quels sont les problèmes et les solutions liés à l'implantation des bornes de recharge pour véhicules électriques dans les unités de condo au Québec?
Voici une question très actuelle lorsque l'on pense à l'électrification des véhicules de plus en plus en vogue. En effet, ce sujet est au cœur des discussions avec bon nombre de clients depuis quelques années déjà. En 2024, on peut dire qu'on est en plein cœur de l'expérimentation de ce nouveau mode de déplacement et des enjeux qui en découlent. Dans une entrevue réalisée avec deux experts en gestion immobilière de Gestion Immobilière Lafrance & Mathieu (GILM), Keven Mathieu et Guyllaume Hébert, nous avons abordé la réalité des recharges de véhicules électriques en contexte multi résidentiel. Une conversation ouverte et riche en informations qui permet de mieux comprendre le chemin parcouru jusqu'à maintenant, où l'on en est et les perspectives d'avenir.
Quel est le premier enjeu en lien avec l'implantation des bornes de recharge pour véhicules électriques dans les unités de condo?
Keven : J'ai été l'un des premiers, au bureau, à avoir des clients qui pensaient intégrer des bornes électriques dans leur stationnement intérieur, en 2019. Le premier élément auquel on s'est intéressé fut l'étude des capacités électriques avec l'aide d'un ingénieur. Ce qui en est ressorti est le constat d'une dissonance entre les calculs théoriques et la réelle consommation électrique des bâtiments. On a réalisé que les données réelles diffèrent souvent de l'estimation prévue, surtout lors de la période hivernale durant laquelle la consommation s'élève considérablement. Suite à cette période d'études, le constat fut qu'il n'y a pas de capacité suffisante sur les entrées électriques pour donner une borne à chacun des copropriétaires de gros bâtiments de 300 stationnements et plus.
Guyllaume : Parlant des études de capacité, il ne faut pas oublier un autre enjeu : Le temps nécessaire pour la réalisation de ces études. Depuis les 5 dernières années qu'on voit la popularité de l'utilisation des voitures électriques augmenter sur le marché. Le facteur "temps" était un frein à l'efficacité de cet essor. Déjà aujourd'hui, on observe une meilleure collaboration entre les ingénieurs et autres spécialistes sollicités. L'accessibilité aux données électriques des bâtiments est également facilitée. Ça permet de limiter les délais de manière considérable. Ce qui pouvait prendre quelques mois avant, prend maintenant quelques semaines seulement. Le progrès est notable.
"On peut déjà constater, en seulement cinq ans, une nette amélioration dans l'intégration de l'électrification des véhicules."
Keven : Avant, on avait l'obligation d'envoyer un électricien mettre des appareils sur les gros transformateurs de la salle électrique des copropriétés. Durant une semaine, il réalisait des tests et des lectures de capacité pour ensuite débrancher le tout et observer les résultats. De là, un rapport était rendu avant d'entreprendre toutes autres démarches. Depuis l'automne 2023, Hydro Québec a élargi ses services, ce qui permet d'accéder aux données en faisant simplement une demande. On obtient alors la consommation réelle du bâtiment. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le syndicat a un compteur pour desservir les corridors, la salle de gym, l'ascenseur... Mais la consommation réelle du bâtiment au complet, comprenant toutes les unités, c'est une information qu’on n’avait pas avant. Depuis l'automne dernier, on accède beaucoup plus facilement à cette donnée. "Ça évolue, l'accès aux renseignements essentiels se démocratise..."
Y a-t-il différents types de bornes en fonction des différents types de véhicules électriques?
Keven : C'est aux propriétaires des voitures de se procurer l'adaptateur nécessaire. Par exemple, Tesla nécessite un adapteur pour faire la conversion mais c'est la responsabilité du propriétaire et non de l'immeuble. L'important, quand on met en place des règlements dans l'immeuble pour venir encadrer l'installation des bornes électriques, c'est de mettre en place un protocole de communication entre les bornes. OCPP 1.6, le nom du protocole, va permettre via Wifi aux bornes de communiquer entre elles avec le système de gestion d'énergie. Ce système va mesurer la consommation électrique du bâtiment afin de gérer ses fluctuations. Il se peut que la mise en place de ce système soit exigée aux propriétaires des véhicules.
Guyllaume : On peut observer, avec la popularité montante des véhicules électriques, une manne autour de ce domaine. De plus en plus de spécialistes se perfectionnent dans cette niche, créent de nouvelles technologies et infrastructures pour améliorer le rendement et l'accessibilité... Car chaque immeuble a des besoins et des enjeux différents.
Le facteur premier qui va déterminer la suite des démarches est définitivement l'étude de la capacité électrique des immeubles.
Guyllaume : C'est vraiment l'étude des capacités électriques qui va nous permette de voir vers quels types de solutions on va orienter nos clients.
Au niveau financier, quels sont les enjeux à l'installation des bornes de recharge pour véhicules électriques dans les unités de condo au Québec?
Keven : Si on a la capacité de fournir en énergie tous les copropriétaires, c'est assez simple. Chacun fait sa propre demande de subvention, nous mettons en place un règlement dans l'immeuble, chacun se connecte sur son propre compteur... L'enjeu est vraiment lorsque nous avons des restrictions au niveau de l'entrée électrique. Ça demande alors d'ajouter un nouveau compteur au bâtiment, un nouveau transformateur, un nouveau panneau électrique dédié aux nouvelles bornes, les appareils pour moduler l'utilisation électrique... Ça vient avec une tout autre réalité financière, un plus grand investissement. Il existe différentes formules d'une copropriété à une autre et il y a des subventions pour les infrastructures à installer dans les bâtiments. 50% des coûts peuvent être couverts par les subventions actuellement jusqu'à concurrence de 50 000$.
Guyllaume : L'idée d'agir par phase permet d'aller chercher le plus de subventions possible à chaque année pour alléger les coûts. Il y a quelques années, c'était encore assez embryonnaire. On prévoyait que les technologies allaient évoluer, voire changer complètement. On avait donc la retenue d'investir de grosses sommes d'argent trop rapidement. Là, on commence à pousser plus nos clients sur l'importance de faire une étude de capacité dès maintenant pour se permettre d'entamer la réflexion sur quels genres de solutions sont les plus envisageables, quels genres d'investissements sont aussi à prévoir dans le budget des années à venir. "L'intelligence artificielle commence à se mettre de la partie, on voit qu'il y a une vision à long-terme..."
D'ailleurs, quelle est votre perspective du futur versus l'électrification des véhicules et l'accessibilité des bornes de recharge dans les immeubles à condo au Québec?
Keven : Il y a plusieurs solutions mais certaines sont plus restrictives dans le temps. D'autres seront davantage capables d'évoluer... C'est un domaine complexe car on mélange beaucoup de choses : Électricité, technologie, l'intelligence artificielle qui va prendre plus de place aussi... On va être en mesure de comprendre le comportement des gens avec leur voiture et d'adapter les habitudes de consommation cas par cas. On s'en va vers ça. Ça va même aller plus loin, en considérant toute l'utilisation d'énergie des bâtiments. On va devenir pro-gestion de consommation. C'est intéressant parce que les solutions sont évolutives dans le temps.
Guyllaume : Il y a un enjeu politique et idéologique à tout ça. Nous, en tant que gestionnaires, on observe les lois, on analyse où elles nous amènent... Qu'on soit en accord ou pas, nous on est là pour bien orienter nos clients. On n’a pas la prétention de tout connaitre mais par expérience, on commence à faire des liens et savoir comment bien accompagner. On veut référer nos clients vers les bons professionnels, leur permettre d'avoir la réflexion et ensuite les guider là où ils veulent aller. C'est notre rôle en tant que gestionnaires. Actuellement, notre focus est sur l'aspect formation et la prise d'expérience. Bien former notre équipe pour que l'on puisse bien guider nos clients. Éventuellement, on évoluera vers un mode davantage axé sur le développement. On parle ici d'une transition de 10 à 15 ans d'expérimentation et de mise en place, selon nous.
Keven : Ça évolue très vite. Le plus grand impact sera définitivement sur la modulation de l'utilisation de l'énergie. On croit qu'il y aura davantage de programmes de récompenses et d'économies à faire. Être les plus efficaces possible dans l'utilisation de l'énergie.
Pour conclure, quel serait votre meilleur conseil à donner aux gestionnaires de condo qui souhaitent intégrer des bornes de recharge à leur immeuble?
Keven et Guyllaume : Faire une étude des capacités électrique du bâtiment au plus vite. Ne pas négliger cette étape qui est à la base de cette démarche et qui influencera toute la suite.
Ce conseil est définitivement la clé de cette entrevue. Ne pas tarder et entamer la réflexion dès aujourd'hui permettra d'établir la suite des démarches et se créer une vision court - moyen et long terme, pour un avenir plus vert et accessible.
Nos partenaires de confiance à ce sujet : Eddie.eco ET MURBLY
Nos experts :
Merci à Keven Mathieu, Vice-président aux opérations et Guyllaume Hébert, Directeur des opérations, pour leur contribution à la réalisation de cette entrevue.